Canada's NDP

NDP

22 mai 2024

Le gouvernement fédéral n’a pas besoin de recourir à la disposition de dérogation

Nous célébrons cette année le 42e anniversaire de la signature de la Charte canadienne des droits et libertés. La Charte forme une partie importante de notre Constitution et énonce les garanties fondamentales de nos libertés, notamment la liberté d’association, d’expression et de religion, et de nos droits, notamment ceux à l’égalité et à la mobilité, ainsi que les droits juridiques qui sont en grande partie la pierre angulaire de notre système judiciaire. La Charte joue un rôle aussi fondamental dans le mode de vie des Canadiens que la feuille d’érable, à tel point qu’en 2013, Statistique Canada a recueilli, dans le cadre de l’Enquête sociale générale (ESG), des données auprès des Canadiens sur les symboles nationaux qui revêtent de l’importance pour leur identité. La Charte est arrivée en tête de liste avec 93 %, devançant même le drapeau national.

Une partie de la Charte, cependant, a toujours suscité la controverse : l’article 33, plus connu sous le nom de disposition de dérogation. Cet article permet la suspension temporaire d’autres droits garantis par la Charte pour l’application d’une loi qui serait autrement considérée contraire à la Charte, en particulier les articles 2 (les libertés fondamentales), 7 à 14 (la protection des droits juridiques des Canadiens) et 15 (les droits à l’égalité, qui empêchent certaines formes de discrimination de la part du gouvernement du Canada).

Historiquement, la majorité des provinces ont peu recouru à la disposition de dérogation. Si l’article 33 de la Charte a été invoqué à de nombreuses reprises au Québec, il était auparavant considéré comme un acte politique suicidaire dans le reste du pays. En fait, seules deux provinces, outre le Québec, ont adopté des lois en recourant à la disposition de dérogation avant 2005 : la Saskatchewan, qui l’a utilisée en 1985 pour ordonner le retour au travail des fonctionnaires, et le gouvernement de l’Alberta, qui l’a pour sa part utilisé en 2000 pour affirmer sa croyance homophobe selon laquelle le mariage était strictement entre un homme et une femme (une question que la Cour suprême du Canada a jugée ultra vires (invalide) parce que la loi sur le mariage relève de la compétence fédérale).

Pendant des décennies, il semble qu’il n’y avait pas de réelle volonté, en dehors du Québec, de faire appel à l’article 33 pour annuler des parties de la Charte. Par ailleurs, le Québec l’a principalement invoqué pour confirmer des lois sur la langue française. Or, depuis peu, les premiers ministres y recourent plus souvent et, ce faisant, ils risquent de fragiliser la Charte.

En 2021, le premier ministre de l’Ontario Doug Ford a présenté le projet de loi 307 afin de faire passer la période pendant laquelle les annonceurs tiers peuvent engager des dépenses préélectorales de six mois à un an; il avait invoqué la disposition de dérogation, car ses précédentes tentatives en ce sens avaient été jugées inconstitutionnelles. Le projet de loi C-307 a lui-même été jugé inconstitutionnel, car il portait sur des domaines où la disposition de dérogation ne pouvait pas être utilisée pour déroger à la Charte. Le gouvernement Ford a également recouru à cette disposition par le biais du projet de loi 28 pour tenter de casser la grève des enseignantes et enseignants, ce qui a provoqué une réaction monstre de la part de leurs syndicats. Plus récemment, le gouvernement de la Saskatchewan a invoqué cette disposition à titre préventif dans le cadre de son projet de loi visant les jeunes transgenres (Parents’ Bill of Rights), jugeant que le projet de loi ne résisterait pas à une contestation devant les tribunaux. Cela dit, il se peut que la Cour suprême du Canada soit saisie de la question, car une décision de la Cour supérieure a permis à une organisation de défense des droits des personnes LGBTQ2+ de contester la loi même si l’article 33 a été invoqué.

L’article 33 reste donc un outil peu utilisé, car nous sommes un État de droit, de freins et de contrepoids, et que la plupart d’entre nous comprennent que les lois doivent résister à une contestation judiciaire recevable. C’est précisément pour cette raison qu’il n’a jamais été invoqué par le gouvernement fédéral. Bien que le bureau du chef conservateur ait laissé entendre qu’un gouvernement conservateur serait prêt à envisager de recourir à cette clause, aucun autre parti n’a jamais évoqué cette possibilité à l’échelle fédérale. En fait, dans un sondage réalisé par Angus Reid l’année dernière, la majorité des personnes interrogées, soit 55 %, ont dit souhaiter que l’article 33 soit aboli.

Il nous appartient, en tant que législateurs, d’adopter des lois, et il appartient aux tribunaux de déterminer si ces mêmes lois sont constitutionnelles. Se soustraire aux contestations judiciaires par le biais de la disposition de dérogation crée un dangereux précédent.